
L'écologie a-t-elle un genre ?

L’écologie nous concerne toutes et tous. C’est par essence un sujet universel. Nous faisons toutes et tous face à la crise climatique, quelle que soit notre appartenance culturelle, géographique, générationnelle… Mais est-on pour autant tous égaux face à ce sujet ? Est-ce qu’on subit les mêmes impacts, que l’on soit un homme ou une femme ? On a plongé dans les méandres des enjeux du genre dans l’écologie. Suivez nous !
Environnement : les femmes payent les pots cassés

Les études établissant à l’importance du genre dans la transition écologique sont rares. Même le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (plus connu sous l’acronyme GIEC), ne s’est pas vraiment intéressé au sujet jusqu’à présent.
C’est sur ce constat que s’ouvre un rapport récent du Conseil économique, social et environnemental (CESE) au titre sans équivoque : Inégalités de genre, crise climatique et transition écologique (mars 2023). Pourtant, si l’on en croit l’épaisseur de ce rapport de près de 230 pages, ce n’est pas faute de choses à dire. L’urgence environnementale impacte en effet de manière très inégalitaire les hommes et les femmes.
Les femmes sont les premières touchées par les conséquences environnementales. De fait, elles sont en effet plus exposées aux produits chimiques que les hommes. Dans leur vie professionnelle déjà (70 % des agents d’entretien sont des femmes), mais aussi dans leur vie personnelle (elles font plus de tâches domestiques et donc, utilisent plus de produits de nettoyage, de pesticides…), et jusque dans leur vie intime (un flou entoure toujours la composition des tampons et serviettes de règles).
Elles sont aussi plus précaires (avec de plus bas salaire), a fortiori lorsqu’elles sont mères célibataires. Une précarité qui impose souvent une alimentation de moindre qualité et un habitat dégradé ou moins bien isolé : là encore, les conséquences environnementales les touchent en priorité.
Enfin, statistiquement, les femmes sont moins bien prises en charge par la médecine que les hommes. Dans un environnement pollué tel que le nôtre, elles ont alors plus de chance d’être touchées par des cancers hormonaux ou une infertilité que leurs semblables masculins.
Transition écologique : Les femmes en tête de proue ...

L’injustice est d’autant plus grande qu’a contrario, lorsqu’il s’agit de se retrousser les manches en faveur d’un monde plus écologique, les femmes sont cette fois-ci les premières devant. Le CESE souligne d’ailleurs que les femmes sont « des actrices majeures de la lutte contre le réchauffement climatique et la transition écologique, et ce, partout dans le monde ».
Paradoxalement, ce sont les stéréotypes de genre qui poussent les femmes à se sentir plus concernées par la crise environnementale.
Socialement, on pousse les femmes vers le soin et l’empathie depuis leur enfance. Elles sont aussi renvoyées aux tâches domestiques. C’est la théorie de la socialisation, qui veut que ces rôles normés et genrés soient intériorisés. Les femmes sont, plus que les hommes, portées à s’intéresser aux économies d’énergie, à une alimentation plus « bio », aux produits d’hygiènes de moindre impact.
Assignées d’office au rôle de capitaine du foyer et championne de la charge mentale, elles sont par exemple celles qui portent le plus le sujet du zéro déchet à la maison. » Pour preuve, et si l’on en croit une étude basée sur les différentes antennes de l’association Zero Waste, Réseau Vrac ou l’ADEME (pour ne citer qu’elles) : entre 70 et 100 % des membres des associations sur la thématique du déchet sont des femmes. Dans la même ligne, elles portent aussi les luttes sur l’alimentation ou contre la pollution chimique.
« Aujourd’hui, seulement environ 30 % des scientifiques sont des femmes dans le monde »
Valérie Masson-Delmotte, membre du GIEC, dans un tweet en mars 2022De manière générale, l’enquête Ipsos Les Français et la nature (publiée par le ministère de la Transition écologique en 2020), révèle d’ailleurs aussi qu’elles sont plus concernées par « la nécessité d’agir vite » (62 % des femmes), et notamment en se tournant vers… le problème des emballages (38,2% des femmes).
C’est aussi ce que note une étude sur les disparités de genre dans les comportements et ses conséquences sur le dérèglement climatique publiée récemment par la Banque de France. Citant des chiffres de l’IFOP en 2021 l’étude estime : « Une alimentation moins carnée engendre une plus faible quantité d’émissions. Or, le choix du régime alimentaire présente une corrélation avec le critère du genre : ainsi, en France, en 2020, 2,2 % de la population déclarait adopter un régime sans viande, et 24 % se considère flexitarienne (i.e. limite sa consommation de viande sans la supprimer totalement). Parmi ces catégories, les femmes représentent 67 % des personnes végétariennes et 65 % des flexitariennes ». De là à dire que le barbecue est genré, il n’y a qu’un pas…
... mais pas décisionnaires

Malheureusement, si les femmes sont actrices du changement depuis leur foyer et au sein de la société civile, sur certaines thématiques précises, elles n’ont pourtant pas tellement le pouvoir de changer la donne environnementale.
On retrouve plus de femmes dans les métiers du soin (la santé, l’éducation…) mais à peine 24 % des ingénieures sont des femmes. Chez les scientifiques, la proportion est à peu près similaire, comme le regrettait Valérie Masson-Delmotte, membre du GIEC, dans un tweet en mars 2022 : « Aujourd’hui, seulement environ 30 % des scientifiques sont des femmes dans le monde ». D’ailleurs, parmi les 320 contributeur.rice.s français.e.s au 6e rapport du GIEC, on trouve seulement 92 femmes, soit… moins d’un tiers.
Un plafond de verre qu’on retrouve aussi dans les instances politiques et gouvernementales. L’égalité entre Femmes et Hommes est aujourd’hui inscrite dans l’un des ODD des Nations Unies (n°5 : « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ») mais l’objectif est encore loin, loin d’être atteint. S’il existe désormais une diplomatie féministe, qui vise à peser pour améliorer les droits des femmes dans le monde, il n’est pas porté (par les hommes) comme un sujet prioritaire, regrette le rapport du Conseil économique, social et environnemental. Il y a donc un vrai enjeu à établir l’égalité au cœur des processus décisionnels, là où s’imaginent et se conçoivent les politiques environnementales.
Établir une égalité écologique

Pour autant, ne noircissons pas le tableau : le sujet avance. À l’ère post-Me too, le féminisme a pris de l’importance et surtout, il est porté par des figures culturelles et médiatiques qui, si elles ne se revendiquent pas forcément écoféministes, sont à la fois féministes et écologistes. Des noms comme Jane Fonda, Emma Watson ou encore Adèle Haenel n’hésitent pas à donner de la voix au milieu d’assemblées d’hommes en costume-cravate et mobilisent aujourd’hui des foules de femmes dans les rues et sur les réseaux sociaux.
Du côté des institutions, de nombreuses solutions pour venir à bout des problèmes structurels soulevés dans les rapports sont sur la table des gouvernants. Reste à les mettre en application. Le CESE a fait ses recommandations, vingt-quatre très exactement, qui s’articulent autour de 6 grands axes principaux.
Il préconise d’abord de donner plus d’ambition à la diplomatie féministe, notamment sur les sujets liés à la sécurité des rescapées et déplacées climatiques. Mais aussi de façon plus générale, de faire se rejoindre les politiques publiques liées aux inégalités de genre et à l’environnement. De former, éduquer et renforcer la mixité des métiers de la transition, en intégrant les questions de justice sociale, de genre et d’environnement dès l’école et dans la participation citoyenne. Il propose également de s’appuyer sur l’entreprise, d’intégrer un devoir de vigilance et de faire évoluer les outils de calcul comme le bilan carbone. En toile de fond, il pointe en plus la nécessité de mieux (faire) connaître la problématique du genre dans l’écologie -via les données publiques – la place des femmes dans les métiers de la transition et les comportements de consommation. Enfin, il souhaite que les gouvernants s’appuient sur l’entreprise pour repenser les comportements de consommation en fonction du genre. On n’aurait pas dit mieux.
Les professionnel.les à la barre, pour changer la donne

Le marketing de genre, dont les bases ont été posées il y a un quart de siècle, s’est construit dans une société hétéronormée où le masculin domine. Il a séparé les femmes des hommes et poussé les stéréotypes de manière binaire et cloisonnée : la douceur au féminin, la force au masculin. Le pastel au féminin, le métal au masculin. Pour Kévin Bideaux, docteur au Laboratoire d’études sur le genre et la sexualité du CNRS, c’est d’ailleurs surtout le féminin qui est visé par le marketing de genre : « Le masculin est historiquement associé à l’universel et n’est donc pas reconnu comme une particularité sexuée. Il est considéré comme neutre, là où, à l’opposé, le féminin renvoie toujours au particulier, à l’Autre ».
Ainsi, dans un monde où la consommation est reine, le marketing genré impose ses codes dans notre inconscient collectif et marque nos représentations sociales. Mais un si grand pouvoir n’implique-t-il pas « de grandes responsabilités » ? Celleux qui pensent les produits, les marques, leur image, leur identité, les modes de communication et de promotion… ont aussi le pouvoir de changer la donne.
En fabriquant aujourd’hui deux produits là où un seul aurait suffi, le marketing genré a un impact sur l’écologie… Et fait peser le poids de la surconsommation sur les femmes, qu’on présente comme dépensières (depuis le XVIIIe siècle selon le chercheur) et pour lesquelles on fabrique des produits généralement moins solides et donc, moins durables.
Comment y remédier ? La question reste ouverte : les professionnel.le.s du design, du marketing, de la consommation doivent-il « hacker » le marketing genré ou intégrer le genre à chaque étape de leur réflexion et déconstruire leurs habitudes ?
Bien sûr, les codes du genre en marketing sont si puissants qu’il semble plus simple de les détourner plutôt que les éliminer. De s’en servir pour amener les citoyen.ne.s ou consommateur.rice.s vers des engagements et des comportements plus écoresponsables. D’utiliser les mêmes codes, mais dans d’autres directions.
Pourquoi pas ? Mais… quid de l’inégalité entre les genres dans l’écologie ? En ne changeant pas le fond, en ne traitant pas le mal à la racine, on ne fait évoluer ni les représentations sociales, ni les habitudes de (sur)consommation. Alors peut être que, de la même manière qu’ils ont imposé un marketing genré, les professionnels de la communication et du marketing devraient imposer un marketing dégenré. Nourrissant ainsi de nouveaux imaginaires collectifs, plus sobres et plus égalitaires.