
Jérôme Zindy, le vélo-reporter qui mouille le maillot

Connaissez-vous le métier de vélo-reporter ? Rassurez-vous, nous non plus, avant de faire la connaissance de Jérôme Zindy. Et pour cause, c’est lui qui invente un peu le concept. Toujours à la pêche aux bonnes pratiques, nous sommes allées à sa rencontre pour en savoir plus. Et voir comment donner ensemble un grand coup de pédale dans le secteur audiovisuel !
Ça faisait quelque temps déjà que nous le suivions sur les réseaux sociaux. Il avait travaillé dans le sud de la France – notre bassin de jeu – avant de retourner vers ses racines alsaciennes, et nous avions remarqué ses vidéos dans les Parcs naturels régionaux de Provence-Alpes-Côte d’Azur et autour d’Avignon.
Jérôme Zindy est vélo-reporter. Il filme le patrimoine culturel et naturel à portée de pédale, pour faire l’éloge de la lenteur et de la sobriété.
Mais attention, pas avec n’importe quelle bicyclette ! Jérôme a inventé un vélo électrique autosuffisant, qui fonctionne à l’énergie solaire. Il lui sert à la fois pour ses reportages, mais aussi pour ses déplacements.
Intrigant non ? En tout cas, il n’en fallait pas plus pour nous donner envie de le rencontrer. Un jour d’hiver, chacun devant nos ordinateurs, nous avec notre soleil méditerranéen et lui avec son pull d’hiver, on a pris le large ensemble, voguant vers une communication la plus décarbonée possible.

L’écume de mai : Bonjour Jérome ! Est-ce que tu pourrais d’abord nous expliquer ton métier ?
Jérôme Zindy : Je suis vélo-reporter depuis 2020. Je réalise des vidéos de communication en utilisant d’autres manières de voyager. Parfois, je fais des reportages incarnés, sur une journée, parfois des documentaires au long cours.
Pour les Parcs naturels régionaux du sud par exemple, ça a duré 5 semaines, ça tenait plus de l’aventure à vélo. Je travaille sur les territoires, parce que pour moi, c’est vraiment la clé de tout. Je vais à la rencontre de ceux qui font demain.
J’adore les rencontres sur le terrain, comme cette petite mamie qui t’invite chez elle, c’est génial. Ça fait beaucoup de bien, les gens sont interpellés par la démarche, s’interrogent en tout cas. Mon but, finalement, c’est de parler environnement en ayant le moins d’impact possible.
L’écume de mai : Tu as choisis un vélo spécifique ?
Jérome : Pour travailler et voyager de la manière la plus décarbonée possible, j’ai opté pour le vélo qui est un symbole de sobriété.
Je fais tout à vélo, y compris transporter le matériel. Il me fallait un vélo électrique autosuffisant et maniable. Je me suis appuyée sur Declic-Éco [Ndlr : société spécialisée dans le vélo électrique de voyage et le vélo solaire] à Istres.
L’idée de mettre des panneaux solaires sur une remorque existait déjà, nous l’avons adaptée : j’ai un panneau devant et si besoin j’en ai un autre sur une remorque, qui me permet d’avoir une autonomie d’environ 200 km.
Ce sont les gens de Declic-Éco qui m’ont transmis la culture du vélo. Je n’étais pas cycliste à la base, mais c’est devenu à la fois mon quotidien, mon travail et ma philosophie de vie.
« Je n’étais pas un cycliste à la base. Je prenais l’avion, la moto… Prendre un vélo, ça a été le premier pas dans mon parcours de transition. »

L’écume de mai : Selon toi, prendre un vélo, c’est donc plus qu’un outil ?
Jérôme : Beaucoup plus ! C’est même le premier pas que tu peux faire pour l’écologie.
Avant de changer le reste, changer ses loisirs c’est ce qu’il y a de plus simple et qui a un impact réel. Et le vélo électrique permet au plus grand nombre d’être dépaysé avec de la low tech.
Le vélo ouvre aussi plein de portes, il y a des cafés vélos, des ateliers d’autoréparation… c’est un parcours de la sobriété. Et quand tu te rends compte de ça, tu peux faire à vélo tout ce que tu faisais avant dans une voiture d’1,5 tonne.
Tu es plus en contact avec les éléments, tu te rends compte que tu peux te déplacer sans clim ou sans chauffage, tu es moins isolé de la nature et des gens, il y a des rencontres et du partage.
Comme je te disais, je n’étais pas un cycliste à la base. Je prenais l’avion, la moto… Prendre un vélo, ça a été le premier pas dans mon parcours de transition.
L’écume de mai : Raconte nous ce parcours de transition !
Jérôme : J’étais un pur produit de ce modèle que je rejette aujourd’hui ! J’ai grandi dans ce monde-là, j’étais programmé pour ça. J’ai fait une école de commerce, puis j’ai travaillé 10 ans dans le rallye raid automobile. J’étais directeur de la communication, reporter, réalisateur d’une émission web ; je voyageais en avion, en 4×4, en hélicoptère, c’était ça mon quotidien.
En 2019, lors d’une randonnée en Auvergne, j’ai eu une prise de conscience environnementale. C’est devenu concret de manière très brutale. J’ai été frappé par ce territoire censé être vert, mais entièrement à sec. Des villages, ravitaillés en eau par des camions citernes, des agriculteurs qui vendent leurs bêtes car pas de fourrage. Aujourd’hui on en entend parler, mais à l’époque c’était nouveau, on ne voyait pas tout ça. Et c’était là, à côté de moi.
Tout s’est effondré, tout ce que j’avais construit. Je me découvrais du pétrole sur les mains.
Pendant 6 mois, ça a été très dur, personne ne comprenait mon changement dans le milieu dans lequel j’évoluais. J’ai tout quitté, mais vraiment tout, pour trouver un équilibre et faire différemment.
J’avais coché toutes les cases de la réussite sociale, professionnelle. Maison avec piscine, SUV, mais il me fallait beaucoup de ressources pour m’épanouir. Maintenant, le simple fait d’aider une copine maraîchère m’apporte du bonheur. C’est ce que tu as fait de positif pour l’humanité dans ta journée qui compte.
L’écume de mai : Cette prise de conscience, comment tu l’as appliqué dans ton métier ?
Jérôme : L’idée, c’était d’abord d’encourager le circuit court.
En juillet 2020, j’ai fait mes premières vidéos : 100 kilomètres autour d’Avignon. C’est une websérie autoproduite de 10 épisodes. Avec un copain réalisateur, on a parcouru la région en vélo électrique à la recherche de producteurs ou d’action à impact positive.
C’est ça qui nous a lancés. La série a été médiatisée, d’abord par le Dauphiné, puis France Télévision, et là ça m’a encouragé. J’ai pris mon bâton de pèlerin pour chercher des sous, créer le concept « 100 km autour de chez vous » et monter des opérations.
Mais j’ai vécu 2 ans de combats, car la démarche est nouvelle et qu’il a fallu trouver des esprits assez pionniers pour me faire confiance. Et aujourd’hui ça marche, et pour « 100 km à Strasbourg » on était 6 personnes.
« Mon but, c’est de parler d’environnement en ayant le moins d’impact possible. »
L’écume de mai : Cette pratique du métier à vélo, elle est accessible à n’importe quel vidéaste ou réalisateur professionnel selon toi ?
Jérôme : Est-ce que c’est à la portée de tous ? Est-ce que c’est universel ? Je ne dirais pas ça.
Pour certains, par exemple quand on travaille en ville et qu’on n’a pas de gros déplacements, prendre un vélo électrique devrait être une évidence, et pour le matériel, un vélo cargo, il y a moyen de le faire.
Mais plus spécifiquement, pour ce que je fais, il faut être aguerri au live et j’ai beaucoup appris avec mon ancienne activité. Faire des films sur des vélo-aventures, ça existe, mais le vélo-reportage tel que je le pratique, non.
Donc pour répondre à ta question, non je ne pense pas que tout le monde puisse le faire. J’ai toujours aimé le terrain, et il faut quand même une habitude de l’aventure.
En plus du tournage, qui est déjà une activité épuisante, il faut penser au bivouac, gérer le mistral, l’imprévu en pleine nature… Et parfois sur du temps long : 5 semaines dans les Parcs régionaux, c’est long !
L’écume de mai : Oui, et c’est un vrai investissement personnel aussi…
Jérôme : Oui un investissement en temps, pour commencer. Pour reprendre cet exemple, ce que j’ai fait en 5 semaines aurait pu tenir en quelques jours, si j’avais ramassé toutes mes interviews et que j’avais été en voiture. Aujourd’hui, je vis en Alsace et la région m’a proposé de faire des animations mais mon vélo est toujours dans le sud. J’ai dû prendre 10 jours à vélo pour pouvoir le remonter.
Ma démarche a un coût. Mon rêve au début c’était d’avoir une équipe de personnes engagées qui voulaient changer les choses, mais je me suis vite retrouvé à tout faire tout seul, tout le monde ne peut pas prendre autant de temps que moi.
Autre problème, les clients ont des petits budgets, c’est ça aussi, le coût de mon engagement. Mais ça s’équilibre par une réduction des dépenses dans la vie personnelle : je fais tout à vélo, je suis devenu végétarien, j’achète de la seconde main…
« Ça n’est pas toujours simple. Tout le secteur audiovisuel s’est construit sur des modèles qui n’ont plus de sens. »
L’écume de mai : Et pour le matériel vidéo aussi, tu fais des achats responsables ?
Jérôme : Le fait de faire ça à vélo m’oblige à rester assez sobre sur le matériel : je ne vais pas transporter toute une régie, pour réduire le poids j’ai un matériel miniaturisé, pas trop lourd et maniable.
J’ai un usage professionnel, la location n’est pas une solution adaptée pour moi. Je sais que le matériel que j’ai ne va pas durer 50 ans, mais je renouvellerai avec de la seconde main. En attendant, celui que j’ai, je le fais durer le plus longtemps possible. J’ai été tenté dix fois de changer de drone, mais non, car je reste fidèle à ma démarche.
C’est compliqué d’aller à contre-courant, tout le secteur audiovisuel s’est construit sur des modèles qui n’ont plus de sens. Face à moi il y a des youtubeurs, qui utilisent les réseaux sociaux à outrance et change souvent le matériel, ils ont des super caméras… Mais je tiens à ma cohérence.
L’écume de mai : Est-ce que tu communiques à tes clients les économies d’énergies qu’ils font en travaillant avec toi ?
Jérome : Non je ne valorise pas la démarche mais c’est assez évident, de par mon activité, que je fais économiser du CO2. Je ne vais pas le dire ou bien le calculer mais c’est du tangible, ça se voit concrètement (Ndlr : sur son site, on peut tout de même voir ce chiffre : « 1 046 kg de CO2 évités lors des vélo-reportages »].
Le CNC a ajouté le bilan carbone dans ces critères [Ndlr : l’organisme de soutien à la création audiovisuel a récemment mis en place une « éco-conditionnalité » de ses aides] et comme me disait une productrice avec qui je travaille : « de ce côté-là tu es en avance ».

« Mon engagement interpelle et m’ouvre des opportunités. J’ai une double casquette de spécialiste de la transition, (…) et on me propose aussi d’autres activités. »
L’écume de mai : Cet engagement global, c’est une valeur ajouté, c’est ça que tes clients viennent chercher ?
Jérôme : J’ai déjà refusé des partenariats pour des raisons éthiques mais mon approche très engagée intéresse surtout des gens qui sont dans la même démarche. Typiquement, les Parcs naturels regionaux, je ne les ai pas contactés. Ils avaient besoin de faire des vidéos autour de l’adaptation aux changements climatiques et mon travail les a interpellés.
En ce moment je travaille sur un documentaire qui aborde la transmission dans le secteur de l’agriculture, avec Terre de liens, c’est une problématique hurlante. Je ne vais pas valoriser le vélo, dans le documentaire, ça n’est pas le sujet, mais je me lève 1h30 plus tôt parce que j’y vais en train et en vélo pliable. Même quand je n’incarne pas un reportage, je suis fidèle à ma démarche.
Cet engagement interpelle et m’ouvre des opportunités. J’ai une double casquette de spécialiste de la transition, surtout sur l’agriculture durable et les mobilités, et on me propose aussi d’autres activités. En ce moment par exemple, je conseille des territoires pour développer le vélo.
L’écume de mai : Finalement, ton travail c’est surtout de faire passer un message de sobrieté heureuse ?
Jérôme : Oui, en réalité ce qui me motive ce sont les rencontres, parler de solutions écoresponsables et c’est avoir un impact positif. Si ça passe par le vélo-reportage, tant mieux, mais si ça passe par d’autres moyens, ça me va.
On est dans une telle schizophrénie, on t’explique que la banquise fond, en même temps on te parle d’une croisière, que le tourisme repart à Djerba, puis on s’inquiète de la sécheresse… Si tout le monde se posait la question du sens, de ce qu’il apporte à l’humanité, ça changerait beaucoup de choses.
Avant, j’avais une vie très impactante et j’étais perdu ! Aujourd’hui, je suis minimaliste mais ma vie est riche en découvertes et en compréhension du monde, et c’est ça qu’on doit montrer, une écologie positive.
Je crois beaucoup aux nouveaux récits. On changera le monde quand les héros, ce seront les médecins de campagne, les profs ou les agriculteurs, pas les footeux en jet privé.
« Je travaille sur les territoires, parce que pour moi, c’est vraiment la clé de tout. Je vais à la rencontre de ceux qui font demain. »

