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Collectif de freelances écoresponsable à Marseille

Les mots peuvent-ils réenchanter l’écologie ?

Les mots peuvent-ils réenchanter l’écologie ?

On parle beaucoup du rôle de l’image, de son empreinte dans nos inconscients et nos sociétés. Mais les mots ont, eux aussi, un pouvoir magique. En matière d’écologie, certains s’en servent pour noyer le poisson. Mais ils peuvent (aussi) permettre d’embarquer vers de nouveaux rivages. Alors, on apprend à jouer avec ?

Le monde est en train de devenir fou. Les vagues disparaissent, les pistes de ski poussent dans le désert, et les oiseaux migrateurs ne savent plus très bien vers où migrer. Face à notre réalité qui se délite, nous nageons en pleine solastalgie. Comment dépasser ce sentiment d’éco-anxiété ? La tâche parait énorme, et pourtant. Nous avons absolument besoin de rêver un monde meilleur, d’imaginer de nouvelles utopies pour en faire des réalités. Et pour libérer notre émotion et nous sentir pousser des ailes, il ne tient qu’à nous de trouver les mots qui (nous) touchent. 

Les mots comme représentation du monde

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En 2023, dans sa Charte « Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique », le media Vert invitait les journalistes – et par extension, les professionnels de la communication – à s’interroger sur les mots qu’ils utilisent au quotidien pour décrire les changements qui s’opèrent dans le monde. L’objectif : donner à voir la réalité de la crise environnementale et mieux mobiliser le public, en n’ayant plus peur des mots.

Emboitant le pas à d’autres médias anglo-saxon, le journal en ligne « qui annonce la couleur » a ainsi ouvert la voie en France à une réflexion plus globale sur le choix des mots pour rendre compte ou faire émerger une nouvelle réalité dans l’espace public.

Car le choix des mots n’a rien d’anodin, comme l’explique Lucile Dartois, doctorante en psychologie dans The Conversation : « Les mots sont des contenants d’idées, de symboles, et d’images qui modèlent et déterminent la forme de ce que nous pensons. Nommer un phénomène n’est pas neutre, chaque mot renvoyant à une interprétation de la réalité, à un imaginaire particulier, à un point de vue situé ». 

Et les conséquences du choix sémantique sont nombreuses : les mots peuvent déplacer des montagnes. Ils galvanisent les foules, donnent du corps aux revendications que l’on porte en nous, la force de se soulever. Ils peuvent aussi nourrir notre réflexion, nous bousculer en témoignant d’une réalité que d’autres voudraient minimiser ; en définissant des concepts, ils donnent une existence aux choses. « Les mots véhiculent une représentation du monde. Un arbre est un arbre parce qu’il y a un mot pour dire qu’il est un arbre » nous explique Cyril Dion, lors de notre rencontre à Marseille, à l’occasion du So Good FestivalAutrement dit : nommer les choses, c’est les faire exister dans notre réalité, et déterminer le regard qu’on leur porte. 

« On a besoin d’une attention au monde suffisamment profonde pour nourrir notre sensibilité. »
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Cyril Dion 

De la nature au vivant : trouver le bon mot

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Les acteurs de l’écologie ont plus qu’intérêt à bien peser leurs mots. En pariant sur la richesse de la langue, ils peuvent amener un regard différent sur le monde. Au détour de notre entretien, Cyril Dion évoque avec nous la pensée de Baptiste Morizot, philosophe et auteur de « Manière d’être vivant ». À propos de notre manière d’appréhender la vie sur Terre et des mots pour l’évoquer, il explique : « Il y a par exemple ce terme un peu clinique : la « Biodiversité ». C’est une liste. Les humains décident ce qu’on va garder, ou non. Avec la « Nature », il y a une démarcation : nous ne sommes pas insérés dedans, mais à côté. « L’Environnement », c’est la même idée : ça n’est pas nous, c’est un décor. En revanche, quand on dit « Le vivant », là, c’est autre chose : nous sommes le vivant. En tant qu’espèce, on doit prendre la mesure de ça, être en lien ». 

« Nature » reste un mot évocateur selon Morizot. Il refuse d’ailleurs l’idée de substituer un mot à un autre. Au contraire : comme il le disait au Monde, il souhaite avant tout « multiplier les approches, pour lutter contre l’hégémonie culturelle » liée au mot « Nature ». 

En ajoutant le mot « Vivant » au champ lexical de la nature, il l’enrichit d’un nouveau concept, de nouveaux symboles, un imaginaire différent, pour « nous donner de l’air, et des outils pour mieux penser et agir ». Le philosophe nous rappelle par la même occasion que la chute de la biodiversité provoque une crise de la sensibilité. Et que ne plus entendre le chant des oiseaux, c’est comme une langue qui disparaît, « un appauvrissement de tout ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et tisser comme relations à l’égard du vivant ». « On a besoin d’une attention au monde suffisamment profonde pour nourrir notre sensibilité » ajoute Cyril Dion. Et cela passe notamment par le pouvoir des mots et la poésie selon lui.

« L’art est essentiel dans nos vies.
Il nous aide à nous reconnecter à ce qui est le plus brûlant en nous. En ça, c’est un instrument de résistance »
~

Cyril Dion 

Poètes-militants : ces mots qui nous enchantent

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Car si on le connaît comme activiste politique, Cyril Dion est aussi (surtout ?) poète. « On écrit beaucoup de poèmes à partir de ce que l’on vit, confie-t-il. Il se trouve que moi, l’écologie habite mon quotidien. ». 

Il ajoute : « Parfois la politique et la poésie se rejoignent. Ce fut le cas en Amérique du Sud, avec Pablo Neruda par exemple, qui est à la fois poète et homme politique. Mais ce rôle puissant de la poésie dans la vie des gens, on le retrouve aussi dans d’autres pays. En Palestine par exemple, ou en Iran ». La poésie peut alors, parfois, servir une cause. De Beaumarchais à Bob Dylan, en passant par Victor Hugo ou Serge Gainsbourg, d’autres auteurs l’ont d’ailleurs montré : pour peu qu’on sache jongler avec, les mots peuvent donner de l’espoir et sont porteurs, parfois, de revendications.

Pourtant, la poésie n’est pas, au sens strict, un outil politique. Comme toute forme artistique, elle n’a d’ailleurs pas à être utile. Mais elle n’en reste pas moins absolument nécessaire. « L’art est essentiel dans nos vies. Il nous aide à nous reconnecter à ce qui est le plus brûlant en nous. » soutien Cyril Dion. « En ça, c’est un instrument de résistance. Nous sommes trop souvent cantonnés au rôle de producteur-consommateur, mais on est beaucoup plus que cela ». Un point de vue qu’il retranscrit à merveille dans son poème engagé « Debout », mis en musique par Sébastien Hoog dans le cadre de leur album, Résistance Poétique. 

 

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Oui, nous sommes bien plus que des producteurs consommateurs. Nous échangeons entre nous des choses, mais aussi des idées, un regard, des questions. Nous sommes, d’abord, des êtres vivants sociaux qui communiquent entre eux par des mots.

Le Centre National de Ressources Textuelle définit la communication comme le fait de “donner connaissance de quelque chose à quelqu’un, faire part de, transmettre”. Pour communiquer une autre direction, donner envie d’écologie, faire connaître l’urgence, transmettre un imaginaire collectif, le choix des mots a un pouvoir évocateur crucial. Quel que soit le support (un ordinateur, un cahier, un mur, la parole) et quel que soit le moyen (la poésie, le militantisme, l’information, l’humour), les mots restent de précieux alliés pour donner du souffle et inspirer, pour inventer un monde plus sobre et plus vi(v)able.