
Publicité : pourquoi Lush, Loom et Veja mettent les voiles

Faire ou ne pas faire de la pub ? Devant l’impact négatif de la publicité, beaucoup de professionnels du marketing se questionnent sur son efficacité et ses usages. Une crise de conscience, qui poussent certains à la rejeter et choisir des leviers différents pour se faire connaître. Tout aussi puissants, mais plus en accord avec leurs valeurs.
Vent debout contre la pub

La publicité fait partie de notre quotidien. Elle est partout, où qu’on aille, dans la rue, où qu’on regarde, sur nos écrans, on en est submergés : impossible d’y échapper. Mais aujourd’hui la grande usine à rêve du siècle dernier a des allures de repoussoir. Elle pollue, pousse à la consommation et travestit la réalité. Et c’est pourquoi certains pros ont donc décidé de hacker ce système.
Alors qu’apparaît (enfin) une publicité positive, valorisant des annonceurs éthiques, des usages plus sobres et des messages responsables, certaines marques ont décidé de s’en passer. Nous sommes allées à la rencontre de 3 d’entre elles : Les cosmétiques naturels Lush, la jeune marque de prêt-à-porter Loom et les baskets iconiques Veja. Des marques agissant dans des secteurs particulièrement boulimiques en publicité. Et pourtant, ces trois-là ont réussi en faisant autrement, dès leur création.
La publicité, c’est un budget énorme pour une marque. Selon Veja, cela représente 70% du coût d’une basket de grande marque. Autant d’argent que ces 3 marques ont préféré investir dans des salaires décents, des matières et des produits plus chers, mais alignées sur leurs valeurs.
« Le sourcing en termes d’impact écologique et humain, c’est coûteux, nous a expliqué Chloé Chazot, responsable communication chez Lush pour la France. On préfère mettre notre budget dans un approvisionnement éthique, qui sert nos combats pour la protection animale, la défense des droits humains et l’environnement, plutôt que d’éphémères spots de pub ». C’est limpide.
Embarquer une communauté

Mais si la publicité a un tel poids dans le budget des marques, c’est qu’elle a un vrai pouvoir d’influence et un impact sur les résultats de l’entreprise. Alors face aux grosses baleines qui n’hésitent pas à y consacrer des milliards, comment surnager ?
Lush, Loom et Véjà parlent d’une seule voix : c’est avant tout en partageant des valeurs fédératrices et en soignant une communauté qui s’engage.
« Une idée est bien plus forte qu’un produit ! On ne suit pas une marque : on est porté par ce qu’elle véhicule. »
Car à l’origine de ces trois marques, il y a donc une forme de militantisme, plus ou moins explicite. Et c’est par un discours engagé et engageant qu’elles ont pu réunir derrière elles. Galvaniser la clientèle ? Elles l’assument et expliquent avoir construit leur notoriété sur des valeurs, auprès d’une communauté engagée. Tellement engagée, qu’elle en devient ambassadrice volontaire de la marque ; le bouche-à-oreille faisant le reste.
Lush : s'ancrer sur le terrain

Pour Lush, cette relation privilégiée avec la clientèle passe avant tout par le terrain.
Née il y a 25 ans, Lush est une marque anglaise de cosmétiques bios et vegan à 95%.
Pour être au plus près de ses clients, Lush s’appuie sur un solide réseau de boutiques. Elle y soigne son merchandising, en valorisant des créations originales pour attirer un nouveau public tout en parlant engagement. En vitrine, on trouve ainsi des visuels pour expliquer sa démarche environnementale, des QR Code vers des associations partenaires, avec l’ambition de faire agir le client.
L’entreprise initie aussi régulièrement des événements, en partenariat avec des associations. C’était récemment le cas à Paris St Lazare, où la marque organisait un happening de danse avec Animal Testing France pour dénoncer les tests sur les animaux, lutte sur laquelle Lush se positionne depuis toujours.
» C’est un vrai challenge, mais en tant que communicant, on y gagne : on est beaucoup plus libre. »
Depuis un an, la marque s’est aussi retirée des réseaux sociaux, qu’elle juge toxiques. « C’est un vrai challenge, mais en tant que communicant, on y gagne : on est beaucoup plus libre » juge Chloé Chazot.
Si elle est parfois approchée par des influenceurs, Lush ne fait pas de sponsoring, ne propose aucun produit et n’intervient en rien dans la démarche éditoriale. Elle n’a pour autant pas totalement désinvesti le terrain du digital. Mais elle mise avant tout sur le contenu via son compte Youtube, sa newsletter et son site officiel avec notamment sa SoapBox, qui donne la parole à une association.
Loom : un contenu qui éclabousse

Tout miser sur le contenu, c’est le pari de Loom, une marque de vêtement française qui milite contre la surconsommation et pour des produits durables.
Et si le contenu est central, ça n’est pas un hasard : Guillaume Déclair, cofondateur de la marque, est journaliste, à l’origine déjà de la newsletter « Merci Alfred ». Dès lors, « mettre le contenu au centre était une évidence » affirme l’autre cofondatrice, Julia Faure, ingénieure en agronomie, elle aussi passionnée d’écriture et surtout de transmission.
L’expertise rédactionnelle est la clé de leur succès. C’est un levier qu’ils actionnent assez peu. Mais si leurs contenus sont rares, c’est parce qu’ils sont très fouillés et qualitatif. Écrire un article, qui sera une véritable enquête journalistique, peut leur prendre des centaines d’heures, raconte Guillaume Déclair.
« La clé du succès : des contenus rares, très fouillés et qualitatifs. »
Ces recherches vont d’ailleurs servir la R&D puisque leurs produits ou actions vont évoluer en fonction de ce que leur propre enquête aura révélé.
C’est ainsi que leur enquête pour écrire cet article sur le dark pattern leur a permis de faire évoluer leurs pratiques et, par souci de cohérence, de prendre des engagements concrets (pas de prix en « 9,99€ », pas de promos, pas de cookies de reciblage publicitaire…).
L’autre levier, ce sont les stories d’Instagram, qui permettent d’illustrer des propos, d’expliquer, d’amener à la réflexion. Et si leur communauté n’est pas gigantesque, elle est en revanche très réactive, stimulée par un contenu rare, mais avec du fond.
Ces articles et story donnent une crédibilité à Loom, à la fois auprès de sa clientèle, mais aussi auprès d’ONG ou d’experts ; qui font ensuite résonner son nom dans les médias.
Veja : faire monter la presse à bord

À une époque où les réseaux sociaux étaient balbutiants (en 2003, la préhistoire), deux start-uppers français créent la marque de baskets éco-responsables Veja.
Pour eux, la liberté de limiter son impact tout en restant compétitif passe par l’élimination de la publicité et des égéries sur lesquelles les grandes enseignes misent alors toutes.
Les pionniers de la basket éthique font le choix de se tourner vers la presse. Pas de service marketing, mais un solide savoir-faire en matière de storytelling permet de lancer la marque auprès des médias.
Un levier qui, aujourd’hui encore, reste important. Veja s’appuie sur des agences de presse dans le monde entier. Elles répondent en toute transparence aux journalistes, montrent la réalité du terrain et ouvrent les portes des usines.
« Pas de service marketing, mais un solide savoir-faire en matière de storytelling permet de lancer la marque auprès des médias »
Grâce à la visibilité dans la presse, le sérieux de la démarche fédère une communauté ; l’esthétique fait le reste. Car Veja soigne son image. Elle met en scène un storytelling de marque urbaine et engagée, qui passe par un traitement photo et vidéo très travaillée.
Et de fait, sans publicité, Veja s’est trouvé une égérie qui n’en est pas une : en 2016, l’actrice Marion Cotillard, postait sur Instagram son amour pour la basket, en prenant soin d’ajouter en hashtag : « I have nothing to do with this brand this is not publicity this is just love ».
Forts de ce succès, les cofondateurs de Veja voient dans la publicité un modèle dépassé, voué à disparaître. En attendant que ce jour n’arrive, écoutons Julia Faure :
« ça n’est pas parce qu’on est éthique qu’on doit refuser d’utiliser certains outils, si vous voulez faire de la pub pour éveiller les consciences, faites-le ! Regardez la campagne « don’t buy this jacket » de Patagonia : on en parle depuis 2011 et on n’a pas trouvé mieux ! ».