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Peut-on faire de la publicité responsable sur les réseaux sociaux ?

Avec plusieurs milliards d’utilisateurs actifs chaque jour sur la planète, les réseaux sociaux sont devenus un canal de communication quasi incontournable, y compris pour les associations, marques ou entrepreneurs engagés. Pourtant, l’impact sociétal et environnemental de ces plateformes questionnent de plus en plus. Face aux dérives d’un modèle publicitaire vorace, faut-il continuer à nourrir le Kraken ? Une autre voie de publicité digitale plus éthique est-elle possible ?

 

 

Vous l’aurez remarqué : travailler dans le marketing en cherchant à garder une ligne éthique et écologique, est loin d’être une traversée sur un fleuve tranquille. En fait, c’est même tout l’inverse : on se heurte régulièrement à de nombreux écueils.

Le sujet de la publicité numérique fait partie de ceux-là. Pour les entreprises et organisations engagées, il représente même un vrai dilemme éthique. À tel point que certains ont décidé de faire sans. Mais cette ligne de conduite est loin de faire l’unanimité.

Pour preuve : selon l’Observatoire de l’e-pub, le marché de la publicité digitale se porte à merveille. Les chiffres de son évolution ces dernières années donnent le tournis : +42% d’augmentation de son chiffre d’affaires entre 2019 et 2022, et encore +10% sur la dernière année écoulée (2021-2022).

Il faut dire qu’avec près de 4.7 milliards d’utilisateurs en 2022, soit plus de la moitié de la population mondiale présente sur les réseaux sociaux, faire l’impasse sur ce canal reste un pari difficile pour les acteurs de la transformation écologique. On est allé à la rencontre de quelques-uns d’entre eux pour comprendre ce qui se joue vraiment derrière nos écrans et voir comment faire vivre son engagement dans l’océan des GAFAM.

 

Des marques toutes dans le même bateau

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S’il existe divers canaux pour diffuser les publicités numériques, une grande partie des campagnes en ligne passe aujourd’hui par les réseaux sociaux. En 2022, le trio Google-Meta-Amazon pèse à lui seul pour les deux tiers du marché de la publicité digitale et le Social se place en 2e position après le Seach, avec 26% des recettes générées. 

Loin d’être un effet de mode, cette tendance, qu’on observe depuis maintenant plusieurs années, a ses raisons. À commencer par la facilité d’accès et l’efficacité des outils publicitaires sur ces plateformes. 

Laurence Veyne, directrice du programme et de la communication chez Greenpeace France, en parle en toute transparence : « Nous faisons peu de publicité traditionnelle (affichage, radio, presse, tv) : c’est cher et peu efficace. En numérique, nous utilisons trois leviers : un tiers des publicités passent par Google Grants ; un tiers sur Meta essentiellement et un tiers en bannières et vidéos sur des sites. »  Une démarche partagée par de nombreux annonceurs, comme la marque de cosmétiques bio marseillaise Comme Avant : « Comme Avant ne peut pas se permettre une campagne classique, à la fois du point de vue financier et technique » souligne Sophie Lauret, sa cofondatrice. Mais avec un ticket d’entrée d’à peine 1 euro par jour, et un pilotage des campagnes intégré aux comptes des marques, il n’a jamais été aussi facile pour les organisations engagées de faire de la publicité que sur ces plateformes digitales.

« L’urgence environnementale impose le pragmatisme. » 
~
Greenpeace

Simple d’usage, peu cher, les géants du numérique offrent aussi la possibilité de tester des messages sans prendre trop de risques, comme le souligne Laurence Veyne : « Les réseaux sociaux permettent aussi une flexibilité. Sur une campagne, on va tester différentes approches ». C’est aussi ce qui séduit une entreprise à mission comme GreenGo. Guillaume Jouffre, cofondateur de celle qui se présente comme l’alternative éthique à Booking et Airbnb, estime que ces plateformes sont devenues indispensables pour une start-up. « On ne donne pas de l’argent aux GAFAM par plaisir, mais c’est le canal le plus performant avec un avantage important : on sait quel sera le retour sur investissement. C’est très prédictif. En mettant tel budget, tu sais quels résultats tu auras. Et c’est ça qui fait qu’on ne peut pas s’en passer ».

Quand l’éthique prend l'eau...

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Problème : les pratiques de ces réseaux sont contestables d’un point de vue éthique.

Si Facebook, Instagram et consorts sont proches des régies de médias gratuits (et vendent avant tout « du temps de cerveau disponible »), leur modèle économique diffère néanmoins de la presse traditionnelle, la télévision ou la radio. Il repose sur un contenu créé gratuitement par les utilisateurs et la collecte massive de nos données en continu, pour avoir des informations toujours plus précises sur les utilisateurs et leurs centres d’intérêt. Cette audience, à la fois massive et ultra-qualifiée, est ensuite mise à disposition des annonceurs, qui peuvent ainsi toucher directement leur cœur de cible.

Pour nous faire consommer et créer toujours plus de contenus, les plateformes captent et cherchent à conserver le plus longtemps possible notre attention, quitte à nous rendre dépendants ou altérer notre santé mentale.

Et il en va de même du côté des entreprises. La recette est aussi simple qu’efficace : après leur avoir permis de constituer une audience et installé un quasi-monopole, les réseaux sociaux jouent avec les algorithmes, de sorte d’astreindre les marques à faire de la publicité. 

Leur secret ? Réduire drastiquement la visibilité de leurs contenus organiques (posts gratuits) dans les fils des utilisateurs au profit des publications sponsorisées (la publicité). C’est ce qu’explique Sophie Lauret : « Nous nous sommes faits connaître par les réseaux sociaux, on y a une communauté forte, c’est un outil qui a son importance dans notre communication. Mais si on ne sponsorise pas, seuls 10 à 15 % de notre communauté aura accès à notre contenu. » C’est ainsi qu’ajouter des pièces aux trésors déjà conséquents de Google et Meta devient un passage obligé pour se rendre visible. 

 

... Et que l’environnement tangue

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Mais ce n’est pas tout : les réseaux sociaux posent aussi des questions écologiques.

Saviez-vous qu’en scrollant négligemment sur votre fil d’actualité Instagram, vous émettiez des gaz à effet de serre ? Greenspector, qui mesure l’impact environnemental des applications numériques a fait le calcul : « La fonctionnalité la plus impactante sur une minute est celle du défilement ou scroll du fil d’actualité (1,549 gEqCO2). Sur une minute, c’est l’équivalence de 13 mètres effectués en véhicule léger. À la fois composée de photos, vidéos et publicités (pour un compte actif), la fonctionnalité n’est pas la plus consommatrice en énergie, mais côté données échangées, c’est celle qui affiche la valeur la plus élevée (14,63 Mo pour une minute) ». Multipliez ce chiffre par des milliards d’utilisateurs qui utilisent les réseaux jusqu’à plusieurs heures par jour, et vous prendrez très vite la mesure du problème.

En plus, les réseaux sociaux encouragent à outrance le recours au format vidéo, et notamment dans la publicité (car il est plus rentable). Or, selon une étude du Shift Project, le streaming vidéo est responsable de la majeure partie des flux de données dans le monde (60 %), et les vidéos diffusées sur les « Tubes », sites et réseaux sociaux représentaient pas moins de 121 millions de tonnes d’eqCO2 en 2018. 

À ces impacts immédiats s’ajoutent ceux du stockage des données, mais aussi et surtout ceux des appareils numériques adaptés : de plus grands écrans, des téléphones plus puissants, permettant l’accès à la 5G… autant de nouveautés qui supposent l’utilisation de ressources pour leur fabrication (eau, métaux précieux…), tout en rendant obsolète les anciens appareils, voués à un recyclage aussi complexe qu’aléatoire.

Devant ces problématiques abyssales, certaines organisations engagées font preuve de bonne volonté et lancent des initiatives, à leur échelle. « Pour tout ce qui est pollution numérique, Greenpeace a une charte d’exemplarité, explique Laurence Veyne. On privilégie les appareils recyclés ou reconditionnés sur le neuf. Pour le contenu : la résolution des photos et des vidéos est limitée en nombre de pixels, et une attention particulière est portée sur la sensibilisation. ». Pour aider celles et ceux qui souhaitent aller dans la bonne direction, The Shift Project a d’ailleurs imaginé un guide très simple en 9 étapes, pour compresser la vidéo tout en maintenant sa qualité, via le logiciel gratuit Handbrake.

 

Des messages qui éclaboussent

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Mais si les annonceurs font des efforts sur l’éthique, ils restent toujours prisonniers des règles de la plateforme. Pour s’en libérer, Greenpeace a fait le choix de lancer il y a 3 ans sa propre plateforme, We Green, ouverte à tous. Aujourd’hui, le réseau social militant compte environ 10 000 abonnés, mais, de leur propre aveu, ça n’est pas un porte-voix suffisant. L’ONG assume : « Meta pose problème, mais l’urgence environnementale impose le pragmatisme. On ne peut pas rester dans notre bulle à ne parler qu’à des gens qui nous soutiennent. On a besoin de faire passer des messages. On doit mobiliser plus que notre base militante et capter l’attention du plus grand nombre. On va là où sont les gens ».

Éviter l’entre-soi à tout prix, c’est tout l’enjeu de ces organisations engagées qui veulent mobiliser très largement. Sophie Lauret aussi, souligne l’importance du choix du message véhiculé, au-delà du support : « Les réseaux sociaux permettent de faire connaître une marque telle que la nôtre et toucher le plus grand nombre sur nos thématiques. C’est un bon levier pour fédérer autour de la question de l’impact. D’autant qu’on va valoriser des posts à message, sans forcément de but commercial ».

« Faire vivre une communauté très engagée, plutôt que faire de l’acquisition »
~
GreenGo

Pour essaimer son message sans passer par la régie Meta, GreenGo s’appuie plutôt sur un réseau d’ambassadeurs engagés. La marque ne les rémunère pas pour ces opérations d’influence marketing, mais elle leur offre l’hébergement. Certains font la démarche de réserver directement sur le site, contre une réduction. Ils sont ensuite libres de créer le contenu qu’ils souhaitent sur leur expérience, et de le partager à leur communauté. « Les résultats sont très volatils, explique Guillaume Jouffre. Récemment [l’influenceuse écolo] Girl Go Green a fait un Reel de son séjour, on a gagné 1000 followers d’un coup. Mais l’inverse arrive aussi : un gros influenceur, mais aucun résultat. C’est un peu la roulette ». 

La start-up travaille aussi avec des marques partenaires. « On passe par des concours avec d’autres marques engagées. C’est un échange de visibilité. La seule chose que ça nous coûte, c’est d’offrir un week-end ». En tant qu’entreprise à mission, la priorité, reste la sensibilisation, qui passe par « faire vivre une communauté très engagée, plutôt que faire de l’acquisition ». 

Des solutions à l’horizon

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Les entreprises ne sont pas les seules à se poser des questions. L’agence de la transition écologique française aussi, s’intéresse à la publicité numérique responsable. S’il est compliqué de se passer des réseaux sociaux, elle propose tout de même des solutions pour limiter l’impact et recommande de chercher des alternatives.

Sur son site, une page dédiée présente une liste de conseils et de bonnes pratiques pour une publicité digitale plus vertueuse : penser accessibilité et inclusion dans le contenu d’une publicité, doser la durée d’exposition, le poids du format aussi (par exemple, préférer des vidéos basse définition, optimiser les photos, faire plutôt court et simple…).

L’Ademe liste aussi les mauvaises pratiques et formats à éviter : tout ce qui pourrait être apparenté à du Dark Pattern, c’est-à-dire de la manipulation, la tromperie (ne pas dire que c’est une publicité ou un format payant), les formats intrusifs (pleine page, pop-up, pas de possibilité d’arrêter la pub…), la surexposition et, autant que faire se peut, le recours à Meta et Google.

Enfin, l’agence recommande de mesurer son impact. Un exercice indispensable, mais pas toujours facile pour les petites entreprises, qui manquent d’outils et de références. Pour les aider, la néobanque Shine et le calculateur de bilan carbone Sami se sont associés pour imaginer ensemble un calculateur pour mesurer l’impact d’une campagne de publicité sur les réseaux sociaux. Sous format Excel, l’outil est mis à disposition des entreprises, agences ou freelances, et dispose d’un onglet par typologie de publicité : campagne sur Facebook, Instagram, Linkedin, Youtube, Snapchat ainsi que deux onglets dédiés à des Google ads. 

Peut-être un bon moyen, pour les annonceurs engagés comme Greenpeace, Comme Avant ou GreenGo d’avoir un moindre impact ?